Le Jean Top 2022
Le Jean Top 2022
Aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours eu une relation
conflictuelle avec les tops de fin d'année. Car effectivement, il est
facile de s'extasier devant cette myriade de listes qui arrivent en
pagaille dès octobre. On s'amuse à deviner quels albums les médias ont
mis sur leurs podiums, on s'échange les meilleures listes qu'on trouve
avec des internautes comme si c'était des cartes Pokémon, on repense à
tout ce qu'on a pu écouter de bon (ou de mauvais) cette année, quelles
étaient les surprises et les déceptions... C'est le côté agréable de la
chose. En revanche, j'ai une lassitude de ces listes qui se ressemblent
bien trop souvent. De ces artistes qui, quoi qu'ils puissent sortir,
sont toujours sûrs de se retrouver dans le haut des tops. De ces
classements qui se multiplient comme un Gremlin tombé dans un bassin
Olympique : Spotify, Reddit, Strava, Steam ou encore la SNCF m'ont
proposé des tops bien inutiles. Enfin, il faut aussi souligner que ces
classements arrivent toujours de plus en plus tôt, car il vaut mieux
balancer son top avant la concurrence, quitte à négliger le mois de
décembre. Il faut croire que le cas Black Messiah en 2014 n'aura pas
servi de leçon...
Mais bon, votre serviteur à lui aussi envie de participer à cet effort
général, à la construction de cette masse informe de listes et de
classements en tout genre. Mais j'ai décidé de me tourner vers un format
un peu plus simple. Hors de question de faire des tops 100, 50, voir
même 10. Je voulais essayer de me limiter au strict minimum, car déjà je
trouve déjà assez superficiel de noter des œuvres, mais s'il faut en
plus en ordonner des dizaines entre eux, je ne m'en sors plus. Voici ma
rétrospective 2022.
Ps : Un groupe/artiste ne peut être présent que dans la liste des
meilleurs albums ou celle des meilleurs titres.
Les meilleurs albums de 2022 qui ne sont pas Blue Rev de Alvvays : "I heard you ask me to smile [...] Don't ever ask me to smile"
Pour ma part, s'il y avait un album à retenir cette année, évidemment que ça
serait celui d'Alvvays. Le groupe, qui nous avait habitué à des albums
de 10 pistes qui savaient où taper dans mon petit cœur pour me faire
ressentir tout plein d'émotions, à sorti un album qui pouvait paraitre
moins engageant aux premières écoutes. En effet, on y trouve des
expérimentations qui ne m'ont pas immédiatement convaincues (Very Online
Guy), ou des mélodies qui me sonnaient fausses (After The Earthquake).
Mais une fois dompté, c'est un album d'une richesse exceptionnelle qu'on
découvre. On sent que le groupe a beaucoup de choses à partager, à
raconter, à faire écouter. Mais surtout, et c'est difficile à décrire,
mais je trouve Blue Rev chaleureux, c'est un album qui donne envie de
faire des câlins à ses proches, de leur dire que tout va s'arranger
(alors que tout va bien). Mais je ne suis pas là pour vous parler de
celui-ci, voici 3 albums qui m'ont fait dire "oh c'est cool ça" cette
année.
Alex G - God Save The Animals : "Judy loves the fish scale, Judy, I love you" - Immunity
Alex G, comme Alvvays, est un groupe que je suis depuis un bon bout de
temps. Et une chose est sûre : j'adore cet artiste. Et après avoir vécu
son premier "succès populaire" avec l'excellent Rocket, il avait
enchainé avec un très bon House of Sugar assez expérimental dans ses
structures (Near, Walk Away), mais assez classique au niveau de ses
sonorités. God Save The Animals en est l’antithèse : ici, on retourne
sur des structures plus simples, mais avec des sonorités qui piochent un
peu partout. De l'exceptionnel Blessing et son couplet chuchoté, au Post
Malonesque Cross The Sea, en passant par S.D.O.S et ses percussions
tellement jouissives (écoutez le fort celui-ci, je vous promets, c'est
génial). Alex G prouve que son succès est mérité, et qu'il ne lui monte
pas à la tête. Il ne nous pond pas un Rocket 2, mais un album marqué par
la religion et l'amour, qui est peut-être l'un des plus beaux de sa
carrière.
Earl Sweatshirt - SICK! : "Crescent moon wink, when I blinked it was gone" - 2010
Je vais être honnête, plus le temps passe, moins j'apprécie Some Rap
Songs. Le côté expérimental trop poussé rend l'écoute de cette galette
assez difficile, et même si le flow et les textes y étaient
irréprochables, l'abondances de sonorités sur de courts morceaux,
c'était trop pour mes petites et sensibles oreilles. J'ai toujours
préféré I Don't Like Shit, I Don't Go Outside, ou encore Feet Of Clay
(et son meme-esque EAST). Mais cette année, Earl a décidé de sortir un
disque accessible, pour mon plus grand bonheur. Attention, on parle
d'ici d'accessibilité par rapport à ses précédents efforts. On retrouve
tout ce qu'on aime chez lui : une écriture au sommet de son art, un flow
toujours aussi assuré et puissant, et des instrus qu’on n’entend pas
partout. Il reprend les points forts de Some Rap Songs, mais rend le
tout beaucoup plus efficace, simple et agréable. Tout parait maitrisé et
à sa place, et pas une seule seconde de ce court album n'est perdue.
Earl semble être au sommet de son art pour notre plus grand plaisir.
Rosalía - MOTOMAMI : "Medusa arriba y abajo (Carla Bruni, woah, woah)" - LA COMBI VERSACE
Peut-être "la" surprise que je n'attendais pas cette année, Rosalía a
sorti un album en or massif. Un album qui sait se faire brut (SAOKO),
voire très brut (CUUUUuuuuuute), qui n'oublie pas ses petites balades
(HENTAI), tout en sachant rester fun (CHICKEN TERIYAKI). MOTOMAMI est
long, mais il s'écoute et se réécoute avec une facilité déconcertante,
avec ses mélodies et rythmiques qui piochent un peu partout (flamenco,
ragaeton, rnb ...), son petit featuring avec un The Weeknd qui ne sait
plus décevoir, et des clips en pagaille avec une esthétique toujours
nickel (son clip sur Tik Tok vaut le détour). Un essai transformé qui me
donne envie d'en avoir encore plus!
Les meilleures musiques qui ne sont pas Seventh Heaven de Haru Nemuri : "セピアに染まる「君が好き」" ("Je t'aime", teinté en sépia)
Car oui, Haru Nemuri a effectivement sorti son meilleur album à ce jour,
très certainement l'un des meilleurs de 2022, mais Seventh Heaven, l'un
de ses singles, est tellement incroyable que je préfère vous en parler
ici. En moins de 4 minutes, elle résume tout ce qui fait la force de sa
proposition musicale : sa voix, qui alterne entre des chants à fleur de
peau et des cris à pleins poumons, ce format j-pop/rock/rap/noise si
unique, et une efficacité imparable. Pas le morceau le plus expérimental
qu'elle ait pu faire, mais allez plutôt écouter l'album si c'est ce que
vous cherchez. Seventh Heaven est irréprochable (ce bridge à 2 minutes
... Je ne m'en suis pas encore remis), mais laissez-moi plutôt vous
parler de trois autres musiques.
Big Thief - Spud Infinity : "Kiss the one you are right now"
Il aura fallu l'attendre cet album ! Le groupe qui nous avait habitué à
une sortie annuelle à mis 3 ans pour nous pondre ce péplum qu'est Dragon
New Warm Mountain I Believe in You. On le leur pardonnera volontiers,
déjà car il est normal de prendre son temps, mais aussi parce qu'on a eu
le droit à des projets solos, et que les 8 singles venus supporter cet
effort sont un excellent LP à eux tout seul. Spud Infinity, c'est quasi
6 minutes de country qui font chaud au cœur. C'est un morceau plein
d'humanité, plein d'amour, de violons, de guitares, et de pomme de
terre. C'est LA musique qui me fait toujours sourire, qui me fait aller
mieux, me donne envie de danser. Autant vous dire qu'en cette année
2022, elle m'a fait du bien.
Daniel Rossen - Shadow In The Frame : "Born to a world that don't care"
Si on n'attendait plus l'album de Big Thief, alors celui-ci, on ne
l'attendait même pas. Soyons honnêtes, Grizzly Bear c'est sûrement fini,
mais ne soyons pas tristes, la bande de New York nous a laissé une
discographie quasi parfaite (Painted Ruins ne m'a toujours pas
convaincu), et Daniel Rossen se lance enfin en solo. Nous n'avions eu le
droit qu'à quelques pépites égarées ces 10 dernières années, mais en
2022, enfin, nous avons le droit une vraie galette à se mettre sous la
dent ! Et quelle galette ! Si on omet Tangle qui me fait toujours penser
à mes pires cauchemars, il nous propose ici une magnifique collection de
chansons principalement portées par la voix si unique de Daniel Rossen,
et par sa collection de guitares acoustiques. La structure des chansons
nous fait comprendre à quel point il était important pour son groupe.
Shadow In The Frame, le premier single, n'aurait pas pu être mieux
choisis. Le motif présent dès l'intro se faufile tout le long de la
musique, qui elle, s'amuse à s'intensifier puis se calmer, ce qui donne
un côté éthéré et délicat tout du long. Délicatesse, justement, qui est
l'une des qualités fortes de l'album.
Perfume Genius - Hellbent : "It wasn't a nightmare / It's just how it goes"
"7 minutes drone Perfume Genius." Ugly Season confirme le règne de Mike
Hadreas. Pour moi, Eye In The Wall n'était qu'un single test, pour voir
la réponse de sa communauté face à ce genre de proposition. Mais nous
avons été bénis par un album complet dans cette veine ! Perfume Genius a
toujours eu une place particulière dans mon cœur de mélomane. Ses deux
premiers albums sont d'une fragilité rare, on y est emporté dans un
univers bien singulier, ou on parle de beaucoup de choses bien
intéressantes sur fond de piano. Too Bright amorçait brillamment un
virage pop, mais No Shape, par son maximalisme et son mixage agressif,
avait peiné à me convaincre. Mais fort heureusement, Set My Heart On
Fire Immediately corrigeait la trajectoire d'une bien belle façon. Ugly
Season, lui, a été composé pour une pièce de danse, et on le sent tout
de suite : les instruments prennent les devants pour la première fois
dans sa carrière, la voix de Mike Hadreas passant au second plan, mais
restant vecteur de bien belles paroles. Et Hellbent en est la parfaite
application. Hellbent, c'est presque 7 minutes de guitares qui font ce
qu'elles veulent, de drone en fond qui se fait oppressant sans jamais
s'arrêter, et de percussions qui ne savent que monter en puissance, le
tout aidé par une voix envoutante, presque shamanesque, qui nous porte
tout du long. La consécration d'une bien belle carrière.
Le meilleur jeu qui n'est pas Rhapsody: A Musical Adventure - NIS : "I know that you're out there and I'm waiting for you"
En plein déménagement et avec 39 de fièvre, tout me faisait stresser. Au
détour d'une conversation sur internet, on me parle de la réédition de
Rhapsody qui venait d'apparaitre. On m'a expliqué que c'était comme un
vieux Disney, mais au format JRPG. Non pas que je sois fan des dessins
animés de la souris américaine, j'ai voulu donner ma chance à ce jeu
pour ce côté rassurant et apaisant. J'en ressors des étoiles plein les
yeux. Déjà, le jeu est beau, avec son pixel-art efficace, mais il est
aussi original, car il possède des scènes chantées qui m'ont toujours
décroché des sourires. Le jeu est très simple, mais il fonctionne comme
un bon chocolat chaud : réconfortant et agréable. Mais n'étant une
simple réédition d'un jeu de 1998, je préfère vous parler d'un autre
titre qui m'aura marqué (et ce n'est pas Kirby non plus, car ce serait
tricher).
Iron Lung - David Szymanski : "Photograph whatever you find there"
2022 a confirmé le retour sur le devant de la scène des jeux d'horreur.
Même Silent Hill a décidé de pointer timidement le bout de son nez. Nous
avons donc eu le droit à une pelletée de PT-likes, de jeux dans l'espace
ou personne ne peut nous entendre, et de jeux en coopération pour avoir
peur en équipe. Il pouvait être difficile de se démarquer, mais David
Szymanski, auteur de titres jouissant d'une jolie petite renommée dans
le milieu, a réussi à proposer quelque-chose de différent. Iron Lung,
c'est un huis-clos dans un sous-marin vétuste, ou le simple fait de se
déplacer sera déjà la source de bien des angoisses. La narration y est
minimale, se faisant à travers un succinct prologue et quelques
évènements, ou encore avec un terminal que je n'ai pas utilisé lors de
ma première partie, faute d'explications. Il vaut mieux ne pas entrer
dans les détails pour éviter de divulgâcher le jeu, surtout qu'il n'y a
aucune raison de ne pas le faire : c'est une excellente introduction au
genre (il est adapté aux peureux), mais est aussi suffisamment original
pour plaire aux connaisseurs, et enfin : il dure une heure, un format
trop rare, mais que j'adore dans les jeux-vidéos pour le côté éphémère
de l’expérience.
Le meilleur film qui n'est pas Eveything Everywhere All At Once - Daniel Scheinert et Daniel Kwan : "We're All Small And Stupid."
Adulé par la critique et le public, il était difficile de passer à côté
de ce film lors de cette année 2022. Et à raison : les David nous
offrent ici une interprétation du multivers qui change de celle de
Marvel, qui sert de socle à une magnifique histoire sur la culture,
l'importance de la famille, et de l'amour. C'est un film (très) dense,
riche, aux scènes d'action exceptionnelles, mais qui profite de quelques
moments de pause plus introspectifs. Sans rentrer dans les détails,
c'était sûrement LE film à voir en 2022. Mais parlons plutôt d'un film
ayant fait un peu moins de bruit.
Leila et ses frères - Saeed Roustaee : "Vous êtes des brêles mes frères"
Je m'étais laissé tenter par ce film pour deux raisons : La Loi de
Téhéran, du même réalisateur, se repose tranquillement dans ma
watchlist, et parce que j'avais vu que c'était comme Le Parrain, et
j'aime les films de mafia. Bon, ce film n'est pas comme Le Parrain.
Cependant, il a beaucoup de choses à raconter. Il est tristement
magnifique. On y suit une famille qui se déchire sous fond de crise
économique en Iran. On y observe le rôle de la femme à travers le prisme
de Leila qui essaye de s'occuper de ses frères un peu benêts, on voit
ses parents complètements obnubilés par cette mafia familiale, prêts à
tout pour monter dans la hiérarchie. Mais tout le long du film, la
famille reste unie et chacun prend soin de l'autre. Parmi les plus
belles scènes, on retrouve celles ou Leila et un de ses frères se
confient sur le toit de leur maison, et c'est justement voir cet amour
qui rend plus difficile les scènes ou on constate qu'ils n'arrivent pas
à vivre ensemble sans se mettre des bâtons dans les roues. Ce fatalisme
est présent tout le long film, et on se sent impuissant à voir des
personnages si attachants souffrir.
À lire si vous chercher une conclusion
2022 a été une année particulière pour moi. Du point de vue personnel,
il m'est arrivé beaucoup de choses. Mais j'ai heureusement pu compter
sur un calendrier de sorties musicales très riche. J'ai trouvé facile de
faire une selection de films et de jeux, mais choisir mes albums et
chansons préférées a été très difficile. Déjà car j'ai passé beaucoup de
temps á écouter des albums trop vieux pour figurer ici, mais aussi car
il y a eu énormement de très bons projets qui auraient eux leur place
ici. J'aurai aimé parler de tout plein d'autres choses, mais pour ne pas
dénaturer mes classements, je vais m'en abstenir. En attendant, je vous
dis à l'année prochaine. Prennez soin de vous.